Cela fait vingt ans jour pour jour que j’ai reçu mon diplôme du London Musician Institute. Le 12 septembre 1997, lors d’une cérémonie dans une salle de concert à Londres, après une grosse année passée à travailler ma guitare jour et nuit, j’ai été appelé devant tout le monde à monter sur scène pour recevoir le prix très convoité de “Most Improved Guitar Player of the Year” ! Un des plus beaux jours de ma vie. Le petit provincial belge que j’étais en débarquant à Londres (j’ai grandi à Godinne, un petit village de 1500 habitants) pour apprendre la guitare, repartait avec une magnifique preuve qu’en travaillant, tout était possible.
Pendant cette année à Londres j’ai eu l’occasion d’avoir des cours avec des professeurs qui m’ont marqués au fer rouge. Je ne parle pas des workshops avec Yngwie Malmsteen (on s’est retrouvés côte à côte dans les urinoirs), Jennifer Batten ou Thomas Lang (prof de batterie que j’allais écouter avec beaucoup d’intérêt) mais de mecs moins connus et pourtant impressionnants sur leurs instruments. Parmi tous ces profs il y en a un avec qui je m’entendais bien. Il était vraiment très sympa. Jeune, blond aux cheveux longs, pas très grand, un peu rond et très investi dans son enseignement. La mode des guitares électriques battait son plein à l’époque (les années 90) mais lui excellait dans un domaine : la guitare acoustique. Il s’appelait Eric Roche. J’entends encore le son de sa voix. Il pouvait transcrire une chanson complète en trois écoutes, arranger frère jacques instantanément d’une manière ultra poétique. Mais surtout il avait développé une technique hallucinante à la main droite : la guitare percussive.
Je travaillais mes solos sur les standards de jazz à l’époque et la guitare d’accompagnement ne m’intéressait pas vraiment. Je voulais du lead ! En s’endormant sur du John Abercrombie qu’espérer de plus en même temps? J’étais jeune avec des goûts en pleine mutation, on va dire ça comme ça! Et pas encore la maturité nécessaire pour apprécier le travail d’Eric Roche. Il avait pourtant une technique incroyable. C’était un vrai virtuose de fingerstyle mais surtout de la guitare percussive avec de magnifiques rythmes en 6/8 ou 12/8 (ça dépend comment on compte aurait-il dit) :
Si j’accrochais bien avec sa personnalité (il était venu boire un verre et jouer un peu de guitare à la fête qu’on avait organisée dans notre “kot”), je suis complètement passé à côté de tout ce qu’il arrivait à faire et ce qu’il aurait pu me transmettre. Je le regrette aujourd’hui mais ça m’aide à comprendre certains jeunes qui écoutent ou veulent apprendre des trucs qui me semblent tellement nuls ! Je pense alors à lui et à tout ce que j’ai raté. Et ça m’aide à mieux les comprendre !
Eric Roche est décédé très jeune. A l’âge de 37 ans. Il a laissé sa femme Candy avec ses deux enfants Stefanos et Francesca derrière lui. A l’époque, en 2004, c’était le début d’internet. On s’envoyait encore des lettres manuscrites (j’adorais ça) et j’ai appris le décès d’Eric trop tard, en rendant visite à mes ex compagnons de classe. Je n’ai pas trop compris, ça me paraissait impossible, je n’arrivais pas à me connecter à cette réalité.
Eric a commencé à écrire un journal lorsqu’il a appris son cancer. Il est disponible sur son site internet. Il faut s’accrocher mais cela rappelle concrètement à quel point rien n’est fixé. Tout change tout le temps et il est impératif de profiter de notre quotidien, des petites et des grandes choses qui nous arrivent. Ca parait naïf comme phrase. Je m’étonne moi-même de la prononcer mais j’ai tendance à prendre mon rythme familial, mon travail, mes petites habitudes pour acquis alors que tout peut changer d’un jour à l’autre. Eric Roche en parle dans un passage de son journal intime : “we are all part of an impermanent system. NOTHING can be taken for granted, no matter how long it seems to be lasting. The safest and clearest place is NOW and that’s where you will find me”
Aujourd’hui c’est très rare que je prenne ma guitare électrique en main et j’adore essayer d’arranger une chanson ultra orchestrée pour que ça fonctionne avec une seule guitare. J’adore le fait de ne pas avoir besoin d’électricité, de câble, d’ampli, de distorsion. J’aime l’approche minimaliste de la guitare acoustique, le fait que c’est le jeu qui fait la différence, la créativité de l’arrangement. La contrainte de tout devoir faire sur une seule guitare, avec un seul son ! Tirer un maximum des possibilités percussives sans tomber dans la sophistication, en restant au service de la musique : c’est l’essence même de la guitare acoustique.
Eric Roche l’avait compris bien avant toute la mode folk actuelle. Ecoutons-le dans son arrangement fingerstyle de Smells Like Teen Spirit.
Mais avant, dites-moi si vous avez également croisé dans votre parcours des professeurs qui vous ont marqué, impressionné ou avec qui vous avez gardé le contact?
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